À mon propos

Dès l’enfance, j’ai aimé le retrait sur les fleurs dans le jardin des Ardennes. Des fleurs claires, jaunes, peut-être des Iris, la couleur déjà. Adolescent, je me suis rendu compte qu’un trait pouvait exprimer une forme et que la justesse d’un trait pouvait traduire un regard ou une attitude. Fort de ces expériences, j’ai aimé dessiner pour y retrouver les subtilités des choses et des gens en ressentant le calme du regard alors que mon corps était le plus souvent le jouet d’une permanente émotion.

La vie a fait que je n’ai pu me consacrer au dessin seulement d’une façon épisodique mais fréquente, jamais continue néanmoins, d’ailleurs je n’en aurai pas été capable. Quand j’ai compris que cette activité m’était bénéfique, j’y ai consacré mon esprit avec le secret espoir d’y être reconnu, ce qui était aussi une façon de soutenir mon effort.

En fait j’ai eu beaucoup de plaisir même si les tentatives d’exposer ont abouti à quelques succès d’estime, et des heures plus creuses où le public est silencieux. Mais le goût a été le plus fort et je me suis efforcé de varier ce que faisais.

Les dessins rapides ont été multiples, des portraits, des têtes d’hommes et de femmes. J’ai tenté à un moment de traduire la vision que j’en avais dans la terre glaise. Mon ami Emmanuel, aveugle, est devenu une masse compacte enduite d’un vernis bleu nuit, c’était lui, il était présent mais le temps a eu raison de l’imperfection technique à laquelle je m’étais livré, une masse de terre crue ne résiste pas au temps.
Au début je dessinais d’après le modèle, ainsi ai-je fixé les traits de mon père Louis Lecomte entouré de signes astrologiques dont il était féru. J’ai peint cette fois, mes garçons Sylvain dont j’ai agrandi les yeux et François mais les séances étaient trop longues et l’impatience et la soumission trop fortes pour que j’ai du plaisir à poursuivre dans cette direction. Aussi ai-je préféré ensuite prendre des modèles virtuels dans les revues et les journaux.

J’ai beaucoup aimé être dans la nature, éprouver l’air, l’espace, les formes, les ombres et les couleurs, un bon moment je me suis attaché pour ce faire à la photographie qui me permettait également dans un minimum de temps et avec un matériel plus souple d’aborder les multiples figures de l’instant, proches et étrangers mais aussi rivières et arbres, gros plans et contre-jours.

J’ai rencontré de grandes joies et pour moi et vis-à-vis des autres, mais la nécessité d’un contact manuel avec la matière avec la couleur avec les outils que sont le pinceau, la plume, la pointe bille s’est imposé à moi et m’a ramené au dessin coloré. Très vite, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’être rapide pour exprimer mes sensations il m’est apparu que les craies colorées à l’huile traduisait le mieux ce besoin de notations vives, et le tableau, en plus d’être coloré, était sillonné de lignes, d’accents qui lui donnait plus de force.

J’ai peint de cette manière plusieurs images qui m’apportaient beaucoup de satisfaction. L’encre colorée de même m’a plu, la fluidité, le moyen de rendre la couleur plus intense ou plus délavée avec, surajoutés, quelques accents forts en noir ou en couleur sombre. J’ai souvent associé la gouache et l’encre. Encre de chine et encre colorée. Au début, cette expression de la couleur m’est venue à l’extérieur face au motif sur une table souple en lattes qu’utilisaient sur les marchés les vendeurs de fringues et de bibelots. J’avais besoin du ressenti immédiat de la forme et de la couleur pour l’exprimer. Cette phase extérieure n’a eu qu’un temps, et celui de l’atelier s’est imposé par la suite.

Longtemps, je me suis satisfait de croquis petits ou de taille moyenne (format raisin) puis l’idée est venue – suggérée par une amie – d’aborder des tailles plus grandes dans lesquelles le portrait appelait une construction, et pas seulement un fond sombre ou coloré, entrainant la recherche d’un rythme dans l’espace du tableau avec une dominante, courbe, oblique ou verticale selon le sujet.

Le sujet lui même s’est diversifié avec la taille de l’espace à couvrir. La présence de plusieurs personnages ou figures est devenue nécessaire avec la joie créatrice de les associer, de les confronter, de les mettre en valeur ou en mode mineur les uns par rapport aux autres, et là les thèmes se sont diversifiés. Parmi eux, le thème récent des réfugiés, celles et ceux qui fuient un conflit ou un massacre, ceux qui attendent un bateau ou un train qui leur permettent de fuir la situation difficile dans laquelle ils se trouvent. Des groupes, mais aussi des figures isolées, que sont les rescapés d’un drame collectif, que ce soit à la suite d’un massacre ou d’un événement plus « pacifique » de la vie quotidienne comme un coup de grisou dans une mine.

En fait ce sont les figures individuelles qui sont les plus nombreuses, dans cet ensemble. Des individus, une Femme ou un Homme, Elle ou Il peut être le témoin ou la victime d’un accident de l’Histoire ou non et simplement exprimer ce qu’il est, ce qu’il fait, un Musicien, un Peintre, une Femme de Lettres. En plus d’être dans l’Histoire, de faire l’histoire, cette personne est l’image même de la vie, de sa propre vie, de sa présence, de sa personnalité. Avec ses traits, son regard, son attitude. Cet instant de vie est unique, c’est le témoignage humain individuel, essentiel, et des grands bouleversements que nous connaissons mais aussi de l’aspect original de l’époque dans laquelle nous vivons.

Claude Lecomte